Michel Maffesoli

14-15 novembre 2024

Colloque à La Sorbonne

IMAGINAIRE ET QUOTIDIEN

Colloque en hommage à Michel Maffesoli pour ses 80 ans

14 et 15 Novembre 2024
salle Louis Liard, à la Sorbonne

 

JEUDI 14 NOVEMBRE 2024

9h – 9h30 : Accueil et renseignements pratiques

10h – 10h15 : Paroles de bienvenue de Michel Maffesoli

10h30 – 11h15 : L’Actuel et le quotidien dans l’imaginaire postmoderne Patrick Tacussel, professeur émérite, Université Paul-Valéry, Montpellier

11h30 – 12h15 : Présentation et projection du film de Tony Wagner : Michel Maffesoli, un portrait incertain

12h30 – 13h15 : Michel Maffesoli, entre communion et communication
Juremir Machado Da Silva, professeur, Université pontificale catholique, Rio Grande do Sul, Brésil

13h30 – 15h : Pause
15h – 15h45 : Les Passions ordinaires de la vie sociale : l’irréductible sociologie de Maffesoli
Pina Lalli, professeure, Université de Bologne, Italie

16h – 16h45 : De l’Énigme de l’instituant à l’érotique du social : une pensée sensible Denis Jeffrey, professeur, Faculté des sciences de l’éducation, Université Laval, Québec, Canada

17h – 17h30 : Michel Maffesoli et le Centre d’Études sur l’Actuel et le Quotidien Federico Casalegno, directeur de laboratoire au Massachusetts Institute of Technology

18h30 : Pot – Les Patios, place de la Sorbonne

 

VENDREDI 15 NOVEMBRE 2024

9h30 : Les Médecins écoutent Michel Maffesoli
Christian Hervé, professeur émérite, Université Paris Cité (2017-2028), professeur attaché, Université Paris Saclay-UVSQ (2021-2026)

9h45 : Maffeso-film, un petit essai sur le contemporain
Cristiane Freitas-Gutfreind et Roberto Tietzmann / Famecos, Université pontificale catholique, Rio Grande do Sul, Brésil

10h – 10h30 : C’était le CEAQ
Coordination : Fabio La Rocca, Nathalie Orvoën, Philippe Joron

10h45 – 11h15 : Le Temps des tribus, musique ensemble
Coordination : Lionel Pourtau, Anne Petiau

11h30 – 12h : C’était notre professeur
Coordination : Jérôme Dubois, Moises Lemos Martins, Jean-Martin Rabot

12h15 – 12h45 : Écrire sur Maffesoli
Coordination : Vincent Rubio, avec Reiner Keller, Mike Tildesley

13h – 14h : Pause
14h – 14h30 : Autour du monde : Réception, traduction, diffusion de l’œuvre de MM
Coordination : Vincenzo Susca avec Daniel Gutierrez, Fabian Sanabria, Yibing Xu

14h45 – 15h15 : Maffesoli hors de l’université
Coordination : Stéphane Hugon, Federico Casalegno, Guillaume Fédou

15h30 – 16h : Pensons avec Maffesoli
Coordination : Aurélien Fouillet, Pablo Cuartas, Tania da Rocha Pitta, Panagiotis Christias

16h15 – 16h30 : Éditer Michel Maffesoli
Jean-François Colosimo, directeur des éditions du Cerf

16h30 – 17h : Rencontre entre un astrophysicien idéoclaste et un sociologue voyant Jean-Pierre Luminet, directeur de recherche émérite, CNRS, Laboratoire d’astrophysique de Marseille

17h : Lectio magistralis par Michel Maffesoli
Catena Aurea « Un nain sur les épaules des géants »

20h – minuit : Soirée de clôture – IRTS Ile de France, 1 rue du 11 novembre, Montrouge

Colloque en hommage à Michel Maffesoli pour ses 80 ans à La Sorbonne 

MICHEL MAFFESOLI – UN PORTRAIT INCERTAIN
Un film de Tony Wagner
.

Ce film fut réalisé au début des année 2000 à l’intention de la fondation Pistoletto, l’une des figures majeures de l’Arte Povera italien.

À vrai dire, il eût fallu l’appeler « un autoportrait incertain », car c’est Michel Maffesoli, lui-même qui prend la parole pour évoquer son enfance, son rapport à l’université et ses travaux intellectuels. En ce qui concerne la mise en images j’assume le qualificatif d’incertain.

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Le tournage se déroula au cours d’une unique séance à Graissessac, le lieu de où grandit le professeur Maffesoli. Les prises de vues furent réalisées spontanément, sans répétition, deuxième prise, ni concertation préalable.

Raphaëlle, sa fille aînée, à qui je confiai la prise de son, s’acquitta de cette tâche avec brio.

Nous avons déambulé dans le village ; Maffesoli improvisait autour des thèmes que lui inspiraient les endroits visités. Pour ma part, en fonction de la première phrase que j’entendais, j’inventais « en direct » une forme filmique.

Pourquoi « incertain » ? Car pour moi, la certitude, tout comme l’évidence, sature la perception, elle évince l’imagination, proscrit l’intuition, interdit la créativité autant que l’hypothèse. La certitude ne laisse aucune place à l’erreur, à la rectification, au doute ou à l’investigation. En nous assénant leurs vérités, les certitudes atrophient la pensée.

L’incertitude laisse apparaître des brèches où vient se lover l’imaginaire, dès lors, chacun peut se glisser dans ces interstices ouverts à la subjectivité. L’incertitude permet à la pensée de respirer.

Pour enfreindre le dogme dominant sur les écrans, je suis revenu aux origines de l’image en mouvement, non pas à son origine historique : celle du cinéma muet, en noir et blanc, tourné en 18 photogrammes par seconde ; mais aux bases de leur visibilitéJ’y ai introduit de la précarité visuelle, telle qu’on l’éprouve à l’aube ou au crépuscule, lorsqu’on est obligés de cligner des yeux pour deviner les contours d’un objet ou d’un paysage.

Pour ce faire, pendant le tournage, ce sont trois procédures que j’ai faussées.

– La densité : J’ai opéré des variations de l’iris jusqu’à aboutir au noir absolu ou atteindre le blanc éblouissant ;

Dans les deux cas, l’image s’estompe, sa perception altérée semble chercher sa nature. L’incertitude est en effet variation, instabilité, passage d’un état à un autre. Les formes subissent des transformations pouvant aller jusqu’à l’effacement de l’image elle-même.

– La mise au point : Lorsqu’on filme, il faut choisir l’objet que l’on souhaite focaliser. Ici, elle fut également altérée afin de créer des flous. Par cette dégradation, je souhaitais laisser libre cours à une divagation visuelle, inventer des images improbables.

L’angle de prise de vues, le mouvement et le zoom :

Quittant les rails des conventions formelles, j’ai exploré des options des choix aléatoires, des points de vue téméraires, par cela je voulus convoquer le hasard d’une synchronisation fortuite.

Ces trois stratégies de détournement étaient destinées à porter un regard inattendu sur Michel Maffesoli, il demeure néanmoins à tout instant le centre autour duquel s’articule la composition, le but étant d’éviter de ne montrer que ce qu’on s’attend à voir. En quelque sorte je voulus faire de sa personne – visage, mains, gestes – un paysage à explorer.

Pourtant, je n’ai pas voulu ajouter des effets : images saccadées, accélérées, ralenties, mais plutôt les dépouiller de leur capacité à nous fasciner, leur dénier leur statut centenaire de « lanterne magique ».

La bande son est exclusivement constituée de la parole prononcée par Maffesoli et du son ambiant où se développe son propos. Ni sons ajoutés, ni musiques.

Tout ce bouleversement requiert de la stabilité. Ce fut pour moi le trépied sur lequel je posai mon appareil de prises de vues ; tant que je filmais Michel Maffesoli, pas de travellings, ni de caméra à l’épaule, uniquement de panos à vitesse réduite.

Je me suis interdit d’illustrer ses propos, pas d’avantage de les souligner, j’ai refusé également d’user d’une quelconque métaphore. Difficile cependant de court-circuiter les archétypes de la représentation, du symbolisme ou de l‘interprétation psychologique.

C’est au spectateur d’élaborer son récit visuel ; de l’imaginer, de s’y perdre et de frayer – éventuellement – son chemin, ou, de s’agacer, fatigué d’être mis à contribution et d’avoir à supporter une esthétique dévoyée.

Le montage : Ourdie en spirale, la structure du film adopte la figure de la toile d’araignée. Il est composé de trois segments non thématiques séparés par des écrans noirs. Des ponctuations faites de travellings précipité et muets entrecoupent les thèmes abordés dans chaque segment, ils ont été réalisés sur les paysages bucoliques et urbains des alentours ; muets, ils constituent des points de rupture mais surtout de couture entre les sujets abordés ; moments d’apnée avant de replonger dans la parole dense du penseur.

Dès la première séquence on découvre le professeur au beau milieu d’un dialogue avec ma caméra et le micro de sa fille :

– Rien justement ! Je peux dire des choses comme ça ?

Puis il s’enquiert auprès de Raphaëlle pour s’assurer que le son du monde qui l’entoure est bien enregistré, que la réalité du lieu est présente.

Ses questions l’engagent à tisser sa trame, à la fois limpide et complexe, il s’interroge, m’interpelle, nous apostrophe, par ce doute, il nous enrôle à le suivre dans son singulier parcours intellectuel.

Michel Maffesoli, trois topologies

La première trouve son origine ici-même, à la Sorbonne.

Lorsqu’à la fin du siècle dernier, j’ai rencontré Hélène Strohl et Michel Maffesoli, vous habitiez rue Pierre et Marie Curie, à trois cents mètres d’ici en direction du Sud.

Une dizaine d’années plus tard, vous avez élu domicile à l‘angle du boulevard Saint Germain et de la rue Saint Jacques, à une distance tout aussi courte,mais au Nord de la Sorbonne.

Aujourd’hui, vous habitez juste en face, rue de Vaugirard.

Trivialement, je pourrais dire que « vous tournez autour du pot », ou plutôt autour du puits. Dans le Yi King, le livre des transformations chinois, le puitsest l’endroit central du hameau. Contrairement aux maisons et aux habitants qui l’entourent, le puits ne peut être déplacé. Il est source de vie, mais aussi, lieu de rencontre où on venait échanger, s’informer, partager. C’est adossé àsa margelle que sages et anciens enseignaient la tradition. Puits immuable, mais entretenu, régulièrement récuré, la potence, la poulie et les cordes étaient également remplacés.

Belle métaphore de cette université où, pendant tant d’années vous avez dispensé votre savoir, développé vos idées, partagé vos intuitions.

La deuxième topologie concerne un autre puits, un puits de charbon creusé aux confins de Graissessac, le village de votre enfance. Un trou où votre père plongeait sous terre pour y remonter la pitance familiale. Il descendait de 359millions d’années, jusqu’à atteindre le cœur du carbonifère, au plus noir des entrailles de la planète.

Au fond de la mine, la veine de charbon craquait, il fallait sans cesse étayer les galeries, c’était effrayant, surtout pour ceux qui l’attendaient à la surface. La poussière dégagée par le combustible noir lui collait à la peau, aux habits, au visage. Elle lui noircissait les lèvres, tapissant narines, bronches et poumons. Certains de ses camarades étouffaient attaqués par la silicose, il fallait pourtant se résoudre à y descendre tous le jours.

Vous Michel, alors jeune garçon, rêviez de pièces d’or glanées dans les ruelles pour acheter des friandises. Avec le temps, ces sucreries se sont transformées en de dizaines d’ouvrages publiés, en d’innombrables heures d’enseignements prodigués à des centaines d’étudiants et en de multiples voyages aux quatre coins du globe pour disperser votre savoir. Le charbon atransmuté en or, celui du prestige forgé par vos écrits et dans les salles de l’université.

Lorsqu’il s’est agi d’investir ce capital, c’est vers Graissessac que vous vous êtes tourné. Attaché à votre région, vous auriez pu trouver refuge à Nîmes la romaine, ou à Montpellier l’universitaire, ou alors à Sète, patrie de poètes et artistes, là où Pierre Soulages déclina sur ses toiles toutes les nuances d’un noir aussi sombre que le charbon paternel. Vous auriez pu aussi aller au Bousquet d’Orb, où vos parents vécurent leur retraite Mais vous avez préféré revenir auprès du puits de votre enfance pour le sublimer, le transcender et investir la maison de maître, désormais la demeure du professeur Maffesoli et de sa famille.

La troisième topologie est celle des « Rendez-vous de l’Imaginaire » rue Royale à Paris, ou plutôt, voie royale vers le monde fertile des imaginaires.

Tous les deux mois, nous étions convoqués dans un lieu prestigieux placé à mi-chemin entre l’Assemblée Nationalele palais du peuple et le temple du sacré, la basilique de la Madeleine.

Le local où vous nous receviez était voisin de « Chez Maxim’s », le palace de la gastronomie et de l’élégance parisienne. Dans les salons de la fondation Paul Ricard, ce n’était pas les agapes de la belle société que l’on venait célébrer, mais le banquet des idées.

À ces rendez-vous, vous accueilliez des philosophes, sociologues, psychanalystes, historiens, astrophysiciens, artistes, bio-généticiens, éthologues et bien d’autres penseurs, car dame imaginaire est une mère généreuse ; elle abrite toute la Science, tel qu’on entendait ce mot au seizième siècle : celui de Connaissance. D’ailleurs, ne dit-on pas de quelqu’un qui possède de larges et variés domaines de connaissance, qu’il est « un puits de science » ? L’expression vous sied comme un gant, cher Monsieur.

Une fois les auditeurs partis, voici qu’Hélène faisait glisser une cloison placée derrière la scène : apparaissait alors une longue table dressée ; une invite pour quelques privilégiés à redescendre sur terre, ou plutôt, à mettre les pieds sous la table pour une autre cène, frugale et conviviale : épicurienne.

Je dis qu’on descendait, en fait on remontait vers la source d’où jaillit l’intelligence, là où les sens servent d’interphase entre le monde et la pensée. Corps physique qui nous permet de déguster, humer, sentir, aimer, craindre, désirer, rêver, haïr.

Lors de ces dîners chez Ricard, une alchimie secrète, dont nul n’a encore trouvé la formule, transmutait un verre de bordeaux portée aux lèvres en un propos sur l’ineffable « Sein und Zeit » Heideggérien. D’un canapé au saumon fumé dégusté entre deux éclats de rire, affleuraient les cosmiques « Super Novæ » de Stephen Hawking.

Les sens aiguisaient la pensée, celle-ci, distillait son effluve qu’on nomme intelligence. Dès lors, les idées nous les savourions pendant que commençait la digestion – celle des aliments et celle des concepts.

La boucle étant bouclée, on se quittait comblés par ces moments exceptionnels. Quelques semaines plus tard, nous attendions avec impatience le courrier d’invitation au prochain de vos rendez-vous de l’imaginaire.

Bel anniversaire Cher ami.